Corneille : Les stances de Polyeucte : [Le problème du monologue au théâtre]

Publié le par Maltern

Corneille : Les stances de Polyeucte : [Le problème du monologue au théâtre]

 

[Polyeucte est une tragédie politique et religieuse. Rome devient chrétienne. Polyeucte est un jeune noble arménien, gendre de Félix, gouverneur romain de la province. Nouvellement converti à cette nouvelle religion, il vient de recevoir le baptême décide d'offrir sa vie à Dieu et son bonheur terrestre. Ces stances se présentent comme une méditation religieuse et morale, qui progressivement passent à la vision prophétique et s'achève en offrande mystique. Ce héros d'un type étrange, le martyr, choisit d'offrir sa vie à Dieu et d'abandonner le bonheur terrestre pour se livrer à la contemplation extatique des biens divins. Ces stances sont un morceau de poésie religieuse et lyrique les plus connue du 17ème, mais s'agit-il d'un enchâssement dans le cours de l'action ? Comment dire et à qui s'adresse ce poème en pleine action tragique ? Le morceau est un défi pour le comédien, car s'il est facile de réciter il est bien plus périlleux de dire un tel texte]

On trouve un texte de Mounet-Sully, le grand tragédien de la Belle Epoque,et son parti pris d'interprétation au lien suivant Mounet-Sully : Polyeucte est plus amant que chrétien, l'interprète et le sens du personnage


Acte IV, scène 2


POLYEUCTE


Les gardes se retirent aux coins du théâtre.


Source délicieuse, en misères féconde,

Que voulez-vous de moi, flatteuses voluptés ?

Honteux attachements de la chair et du monde,

Que ne me quittez-vous quand je vous ai quittés ?

Allez, honneurs, plaisirs, qui me livrez la guerre :

Toute votre félicité,

Sujette à l'instabilité,

En moins de rien tombe par terre ;

Et comme elle a l'éclat du verre,

Elle en a la fragilité.


Ainsi n'espérez pas qu'après vous je soupire :

Vous étalez en vain vos charmes impuissants ;

Vous me montrez en vain par tout ce vaste empire

Les ennemis de Dieu pompeux et florissants.

Il étale à son tour des revers équitables

Par qui les grands sont confondus ;

Et les glaives qu'il tient pendus

Sur les plus fortunés coupables

Sont d'autant plus inévitables,

Que leurs coups sont moins attendus.


Tigre altéré de sang, Décie impitoyable,

Ce Dieu t'a trop longtemps abandonné les siens ;

De ton heureux destin vois la suite effroyable :

Le Scythe va venger la Perse et les chrétiens.

Encore un peu plus outre, et ton heure est venue ;

Rien ne t'en saurait garantir ;

Et la foudre qui va partir,

Toute prête à crever la nue,

Ne peut plus être retenue

Par l'attente du repentir.


Que cependant Félix m'immole à ta colère ;

Qu'un rival plus puissant éblouisse ses yeux ;

Qu'aux dépens de ma vie il s'en fasse beau-père,

Et qu'à titre d'esclave il commande en ces lieux :

Je consens, ou plutôt j'aspire à ma ruine.

Monde, pour moi tu n'as plus rien ;

Je porte en un cœur tout chrétien

Une flamme toute divine ;

Et je ne regarde Pauline

Que comme un obstacle à mon bien.


Saintes douceurs du ciel, adorables idées,

Vous remplissez un cœur qui vous peut recevoir :

De vos sacrés attraits les âmes possédées

Ne conçoivent plus rien qui les puisse émouvoir.

Vous promettez beaucoup, et donnez davantage :

Vos biens ne sont point inconstants,

Et l'heureux trépas que j'attends

Ne vous sert que d'un doux passage

Pour nous introduire au partage

Qui nous rend à jamais contents.


C'est vous, ô feu divin que rien ne peut éteindre,

Qui m'allez faire voir Pauline sans la craindre.

Je la vois; mais mon cœur, d'un saint zèle enflammé,

N'en goûte plus l'appas dont il était charmé ;

Et mes yeux éclairés des célestes lumières,

Ne trouvent plus aux siens leurs grâces coutumières.


[Corneille, Polyeucte, 1643].


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