Le corps parlant : du quotidien au comédien

Publié le par Maltern


Le corps parlant : du quotidien au comédien 

 

[La question du « langage » non verbal, de la « communication non verbale », est devenue une des tartes à la crème dans la réflexion contemporaine. Les essais, théorisations, manuels, encombrent les rayons, communication ou développement personnel, des libraires. Si la question est loin d’être neuve, l’engouement qu’on lui porte et plus récent. Faut-il lui donner comme point de départ le « corps parlant » de Freud ? L’attention porté par Artaud au geste ? La question de l’expression reprise par les sociologues tels Weber, ou les phénoménologues tels Merleau-Ponty ? La naissance d’une anthropologie du geste avec Marcel Jousse ? De l’attention à la mise en scène de la vie quotidienne avec Erving Goffman ? Toujours est-il que ce centrage sur l’expressivité du corps, - faut-il aller jusqu’à parler d’un « langage » c’est à discuter, entraîne des conséquence sur la formation du comédien et les partis pris de mise en scène. Quelques textes pour situer les enjeux de cette question]   

 

Doc.1 : A. Oger-Stefanink, La Communication c'est comme le chinois, cela s’apprend, Éd. Rivages/ Les Échos, 1987.

Doc 2 : P Watzlawick, J. H. Beavin, D. D. Jackson, Une logique de la communication, Éd. du Seuil, 1967.

DOC 1

 

« Méfie-toi de l'homme dont le ventre ne bouge pas quand il rit » Dicton cantonais

L’objectif du code verbal est la transmission d'une information. Le non-verbal est utilisé pour établir et maintenir la relation interpersonnelle. C'est ce que confirme Riccoboni, acteur de la Commedia dell'arte, quand en 1738, parlant du théâtre, il déclare : « l’art de la déclamation consiste à joindre à une prononciation variée l'expression du geste, pour mieux faire sentir toute la force de la pensée. »

En effet, c'est la convergence et la concordance du système verbal et du non-verbal qui assurent la meilleure réception du message et la communication la plus efficace, le dit de la parole et le vécu du corps doivent être en congruence. Au théâtre, le bon comédien est celui qui sait jouer cet accord pour faire vivre son personnage.

Sachez que lorsqu'il y a mensonge, le non-verbal le transmet à l'insu de l'individu. Le corps est plus difficile à censurer que la parole. La bouche peut se taire, les doigts continuent à bavarder. Un individu peut simuler un sourire, mais un seul côté de sa bouche « joue le jeu ». Le sourire glisse en coin. Un sourire « de façade » se transforme en grimace. « Il existe mille orifices invisibles à travers lesquels un œil pénétrant peut voir d'un seul coup ce qui se passe dans une âme », écrivait Laurence Sterne.

Lorsque le président égyptien Anouar el-Sadate est venu en 1977 à la Knessett, le Parlement israélien, parler du pacte d'amitié entre l'Égypte et Israël, on raconte que Jérusalem se demandait si, huit jours plus tard, les chars égyptiens ne seraient pas, une fois encore, sur les plateaux du Golan. Sachant que la distance entre la parole et la pensée entraîne automatiquement un contre-discours corporel, les services secrets israéliens avaient décidé de filmer et d'observer Sadate de la tête aux pieds. Il peut y avoir des doigts de pied qui manifestent leur désaccord ! L’observation directe, puis le visionnage du film ne décelèrent aucune dissonance. L’histoire l'attesta. Les accords ne furent pas rompus et Sadate paya de sa vie, le 6 octobre 1981, la signature de ce traité.

Ne devenez ni un grand inquisiteur, ni un agent de la CIA, ni du KGB, mais surveillez tout geste parasite, toute dissonance dans le discours de vos interlocuteurs. Apprenez à lire le langage du corps, vous y découvrirez le mensonge ou la vérité de la parole... « Car à côté de la culture par mots, il y a la culture par gestes. » Antonin Artaud

 

[A. Oger-Stefanink, La Communication c'est comme le chinois, cela s'apprend, Éd. Rivages / Les Échos, 1987.]

 


 

L’impossibilité de ne pas communiquer

 

DOC 2

 

 « Disons tout d'abord que le comportement possède une propriété on ne peut plus fondamentale, et qui de ce fait échappe souvent à l'attention : le comportement n'a pas de contraire. Autrement dit, il n'y a pas de « non-comportement », ou pour dire les choses encore plus simplement : on ne peut pas ne pas avoir de comportement. Or, si l'on admet que, dans une interaction, tout comportement a la valeur d'un message, c'est-à-dire qu'il est une communication, il suit qu'on ne peut pas ne pas communiquer, qu'on le veuille ou non. Activité ou inactivité, parole ou silence, tout a valeur de message. De tels comportements influencent les autres, et les autres, en retour, ne peuvent pas ne pas réagir à ces communications, et de ce fait eux-mêmes communiquer. Il faut bien comprendre que le seul fait de ne pas parler ou de ne pas prêter attention à autrui ne constitue pas une exception à ce que nous venons de dire. Un homme attablé dans un bar rempli de monde et qui regarde droit devant lui, un passager qui dans un avion reste assis dans son fauteuil les yeux fermés, communiquent tous deux un message : ils ne veulent parler à personne, et ne veulent pas qu'on leur adresse la parole; en général, leurs voisins « comprennent le message » et y réagissent normalement en les laissant tranquilles. Manifestement, il y a là un échange de communication, tout autant que dans une discussion animée.

On ne peut pas dire non plus qu’il y ait « communication » que si elle est intentionnelle, consciente ou réussie, c'est-à-dire s'il y a compréhension mutuelle. Savoir s'il y a correspondance entre le message adressé et le message reçu appartient à un ordre d'analyse différent, quoique important, car il repose nécessairement en fin de compte sur l'estimation de données spécifiques, de l'ordre de l'introspection et du témoignage personnel, données que nous laissons délibérément de côté dans une théorie de la communication exposée du point de vue du comportement.

Quant au problème du malentendu, étant donné certaines propriétés formelles de la communication, nous examinerons comment peuvent s'installer les troubles pathologiques qui y sont liés, indépendamment, et même en dépit, des motivations ou intentions des partenaires. »

[R Watzlawick, J. H. Beavin, D. D. Jackson, Une logique de la communication, Éd. du Seuil, 1967.]

 



 

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