Alain Le Bon : réflexions sur la marionette, le mot et le comédien
« La marionnette n’a de vie et de mouvement
que celui qu’elle tire de l’action.
Elle s’anime sous le récit, c’est comme une ombre qu’on ressuscite
en lui racontant tout ce qu’elle a fait
et qui, peu à peu, de souvenir devient présence.
Ce n’est pas un acteur qui parle, c’est une parole qui agit »
Paul Claudel
« L’homme est une mémoire qui agit »
Henri Laborit
Les marionnettes n’ont pas de cimetière
Réflexions sur le mot, la marionnette et l’acteur.
La marionnette, parole qui agit, appelle à une réponse rapide.
Le mot doit vivre et un public multiple doit vivre dans l’instant à travers ce mot. Le mot véhiculant cet instant d’échange intense, cette rencontre avec l’autre, l’homme retrouve ses racines profondes souvent oubliées grâce au mot devenu multiple et devient lui même le multiple d’un corps devenu unique le temps d’un instant « dramatique » parce que renouant avec le cosmique. Il n’est plus porteur d’une situation psychologique, devenu allégorique, colporteur, il véhicule la problématique universelle et existentielle de commencement et de la fin de l’homme: l’amour, la mort et la faim.
En faisant référence à l’inconscient de la mémoire originelle de ces grands thèmes, nous plongeons dans les origines même du pourquoi de notre mémoire. Nous ne faisons pas appel à une mémoire historique mais à une mémoire génétique.
Le mot devient l’acte par lequel l’homme retrouve ce qu’il a oublié, ce que l’on a voulu lui faire oublier ou ce qu’il a voulu oublier.
« Une feuille qui tombe dans la nuit,
est-ce un souvenir qui veut l’oubli,
vouloir l’oubli
c’est la forme la plus aiguë de se souvenir »
Gaston Bachelard
Au théâtre, l’acteur nourrit trop le mot, en lui donnant son présent, il le parle, il le gave de sa présence dans une représentation où le réalisme est la seule référence.
Avec l’acteur, le mot est un corps, il est unique, trop bruyant. trop vrai car il doit s’affirmer par peur du silence.
L’acteur colle au récit nous force à y adhérer dans un regard hors critique sans pré-histoire.
Dans un jeu où la voix a un visage qui grimace l’instant, dans un monde d’images qui se veut faussement hors du temps, trop réel parce que trop nourri du présent, l’acteur mime bruyamment le silence dans une pantomime qui imite le temps.
Scène-théâtre espace clos où nos oreilles sont des murs qui réfléchissent les mots dans une fausse communion narcissique.
Acteurs-spectateurs consomment, rabâchent et digèrent ensemble un étalage de mots réduits à des concepts nourris d’images immédiates, où tout l’art consiste à travestir un déjà vu en un renouveau
l’ordre d’un monde amnésique errant sur des chemins qui ne mènent nulle part.
Face aux intégrismes de tout poil et aux éternels va-t-en guerre, le paradis se rit du parterre car il sait qu’il y a un enfer, que l’enfer c’est les autres quand ils veulent nous imposer leur paradis . Qu’au théâtre le véritable Diable, c’est l’ennui.
Dans ce monde où à trop vouloir la lumière on en oubliera nos ténèbres, où la vie devient image avant d’avoir été vécue, tu nous rappelles notre nuit sans cesse recommencée, mort et résurrection, ton masque noir reflète ta tunique blanche, miroir sans glace, dans un éclat de rire venu des cavernes, tu projettes notre condition grandiose et dérisoire.
Alain Le Bon
Archéologue de la paillette
Et tant que tu n’as pas compris
ce « meurs et deviens »…
tu n’es qu’un hôte mélancolique
sur la terre ténébreuse.
Goethe
[inédit de 2007]