Mémo- Poétique de... : Aristote : L’action excessive, le héros et l’apaisement du spectateur

Publié le par Maltern

Mémo - Poétique de... : Aristote L’action excessive, le héros et l’apaisement du spectateur


 

Ce besoin est à la source des premiers apprentissages de l’enfant, qui imite spontanément et en éprouve du plaisir. La « mimesis », acte de représenter, est une tendance naturelle qui atteint un niveau supérieur dans la production théâtrale conçue comme la représentation en actes, et non par de simples paroles, [« Epos » _ épique], d’actions humaines.

 

 

 

« Deux causes, et deux causes naturelles, semblent bien être à l’origine de la poétique tout entière. D’abord, l’imitation fait partie de la nature des hommes depuis leur enfance. C’est précisément en cela que l’homme diffère des autres animaux : il est le plus grand des imitateurs et l’imitation lui est moyen d’acquérir ses premières connaissances. En second lieu, pour tous les hommes, l’imitation est une source de plaisir. »

 

[Aristote, Poétique.]

 

 

 

 

* La représentation n’est donc pas une reproduction du réel dans sa vérité, ceci est le travail de l’historien ou du chroniqueur, mais la construction d’actions fictives qui eussent été possibles bien qu’elles ne se soient pas produites [Le vraisemblable # vrai]. Le poète dramatique de ce point de vue crée une oeuvre plus universelle que la chronique de l’historien qui témoigne d’un acte particulier ayant eu lieu ici et là. Il rend compte de l’homme en général en créant un personnage, au contraire, l’historien témoigne de tel individu ou personne.

 

* Le poète dramatique ne produit  donc pas une imitation exacte. Dans le genre tragique il construit des personnages supérieurs aux hommes, dans le genre comique des personnages inférieurs et ridicules. Dans les deux cas, il cherche un décalage d’avec la réalité, son but n’est pas d’atteindre une scrupuleuse vérité psychologique.

 

 

« Quand on imite, on imite des hommes en action. Ceux-ci sont nécessairement ou bien respectables ou bien médiocres. En effet les caractères se ramènent nécessairement à ces deux catégories : c’est par la méchanceté ou la vertu que diffèrent tous les caractères. Leurs images sont donc ou meilleures que nous, ou pires ou semblables à nous. [...] La même différence réside entre la tragédie et la comédie. La première veut imiter des hommes supérieurs à ceux d’aujourd’hui, la seconde des hommes inférieurs. »

  [Idem]

 

 

 

* Ainsi, chaque personnage aura un langage propre qui n’est pas le langage quotidien. De même les actions théâtrales (la « fable » dans un spectacle) ne seront plus naturelles, mais doivent se soumettre à des règles de construction qui les rend belles, complexes et suscitent la surprise, la frayeur ou la pitié du spectateur. Il faut distinguer entre le réel vécu et la fiction théâtrale produite par une imitation soumise à des règles. Dans le genre tragique, l’homme commun devient héros : au fil des coups de théâtre, des effets violents et pathétiques, il passe d’un état d’ignorance à la lucidité pleine et tragique de son destin. Distinguons entre la vie commune et l’accomplissement de son destin par un personnage tragique..

 

* Dans la poétique d’Aristote, c’est l’action des personnages qui prime et non la psychologie des personnes [les intentions]. Ce n’est pas le caractère de la personne qui détermine l’action, mais l’action que l’on représente qui fixe un caractère à la personne et la transforme en personnage héroïque représentatif. Un personnage devient un vecteur d’actions et de conflits. Les héros de la tragédie manifestent des forces soit mythiques soit sociales.

 

  

 

 

 

 

« […] la tragédie est en effet une imitation,  non point des hommes mais de l’action, de la vie, du bonheur et du malheur ; or le bonheur et le malheur sont dans l’action, le but est agir, non être, et les hommes sont ce qu’ils sont par leur caractère, mais heureux ou non par leurs actions. Les personnages n’agissent donc pas afin d’imiter une certaine psychologie : c’est par leurs actions qu’ils acquièrent un certain caractère. »

[Idem]

 

 

 

* Le héros, personnage prisonnier de son destin et d’actions nécessaires n’a qu’une très faible dimension de psychologie individuelle et de réalité humaine. Il est le support d’un enchaînement d’événements nécessaires sur lesquels il n’a pas de prise et qui s’enchaînent d’une manière implacable. Il est le jouet de destins et de fatalités voulues par les dieux, qu’il ne comprend pas et qu’il accomplit sans en porter la complète responsabilité. Il est a mi-chemin entre les hommes et les dieux. Il est ambigu et démesuré par rapport aux hommes. Pour le spectateur il suscite le trouble, et l’étonnement.

 

* La représentation théâtrale tragique a pour fonction de purger [« catharsis » = purgation, purification] le spectateur des émotions de crainte et de pitié qu’il éprouve dans la vie quotidienne. Le spectateur en s’identifiant, en vivant par procuration et pendant le temps du spectacle, la vie d’un héros qui commet aveuglément des crimes ou subit sa destinée fatale, éprouve une décharge émotionnelle. Il est vidé, purgé, de ses propres émotions qu’il a sublimées sur le plan esthétique.

 

* Le théâtre tragique a donc pour but de transformer les émotions pénibles de crainte et de pitié que nous éprouvons dans la vie quotidienne en plaisir esthétique face à un spectacle. Cette « purgation » et sublimation de nos angoisse d’hommes face à nos vies à l’occasion d’un spectacle est ce qu’Aristote appelle une "catharsis" : c’est à dire une purification au sens propre qui permet de retrouver la paix intérieure.

 

* Ces personnages inhumains, ont une dimension hiératique, c’est à dire sacrée et impressionnante. Tout comme les héros tragiques, les personnages comiques ne sont pas individualisés psychologiquement, ils sont les représentants, les masques  universels,  de passions monstrueuses et dévorantes comme la jalousie, l’ambition, l’avarice qui troublent l’ordre établi. Rire de leur ridicule, de leur caricature, c’est neutraliser et tenir à distance des vices qui peuvent troubler la paix civile ou familiale.

 

srsrs

 

 

Observation Ö - L’analyse du texte suivant permet de comprendre comment l’opinion publique, transforme un fait divers en drame tragique selon les mêmes ressorts que la poétique d’Aristote. Pourquoi la personne de Kennedy devient-elle personnage ? Comment un événement provoqué par de multiples causes prend-il une dimension tragique ?

 

La Mort de Kennedy...

 

« En disant : « c’est tragique », fût-ce à propos d’un incident anodin, je mets en branle une métaphysique : la manière dont les événements arrivent, dont l’homme conçoit son existence et son rapport avec les autres, avec lui-même, avec Dieu, - une sagesse folle peut-être, mais une sagesse.

Parce qu’un jour à Dallas, (Texas), un homme qui était jeune , beau, heureux et chef du plus puissant Etat de la terre, s’affaisse ensanglanté dans les bras de sa femme, le mot vient spontanément sur le papier, sur les lèvres, sur les ondes : « C’est tragique », - et comme pour le confirmer, l’assassin présumé est à son tour assassiné.

C’est tragique parce que John Kennedy ne devait pas mourir, et pourtant quelque chose nous disait qu’il était exposé à cette mort, précisément à cause de toute cette puissance et ce bonheur, presque surhumains, qui le distiguaient, le désignaient à la vengeance.

C’est tragique parce que le sang appelle le sang, et que le meurtrier devait avoir cette mort, hors de la justice légale dont le mécanisme semblait bien en dessous de son crime. Causalités absurdes et pourtant immédiatement admises par le public pour qui ces meurtres ne sont pas la conséquence d’une volonté ou d’un hasard, d’une politique ou d’une imprudence, mais relèvent d’une nécessité supérieure à la logique humaine.

 L’événement était imprévisible, - quelle somme de coïncidences il a exigé, la commission d’enquête l’a montré ! - et pourtant il était attendu.

 

Cet attentat l’opinion , spontanément le situait hors des cadres, dans une zone exceptionnelle où il apparaissait presque normal. Tous les faits divers qu’on appelle tragiques ne représentent pas la même intensité phénoménale que l’assassinat du Président Kennedy, mais on y retrouve plus ou moins le même mécanisme et chez les spectateurs le même mélange de surprise et de secrète attente, d’indignation et de consentement.

  

 [Jean-Marie Domenach : Le retour du tragique,  1967, Point/ Seuil p. 21-22.]

 

 

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