Constantin Stanislavski.1863-1938 : c’est l’action physique qui guide le comédien et fait naître le sentiment. 1926

Publié le par Maltern

Constantin Stanislavski.1863-1938 : c’est l’action physique qui guide le comédien et fait naître le sentiment. 1926

 

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[Stanislavski fonde le Théâtre artistique de Moscou en 1898. Il s’inscrit dans le mouvement naturaliste et cherche le « réalisme intérieur » ses préoccupations l’orientent vers les questions de la formation du comédien : « La formation de l’acteur », et « La construction du personnage ». Comment l’acteur produit du vrai, du vécu, dans une situation artificielle ? Un ensemble de techniques, le « système Stanislavski » développent une formation systématique : d’abord « vivre le rôle » en faisant appel à la mémoire affective et subconsciente (techniques intérieures.) puis fixer le rôle à partir de ce « revécu » (techniques extérieures.) L’influence de Stanislavski, à travers l’enseignement de l’ Actor’s studio imprégné par la psychanalyse a fait oublier cette dimension de son enseignement, en insistant plus sur la recherche de l’émotion et du vécu que sur le geste et l’action. ]
 

 

 

"Le Directeur continua aujourd’hui à nous parler de son système. Pour illustrer son exposé, il établit une comparaison entre l’acteur et le voyageur.

 

 

 

« Au cours d’un assez long voyage, commença-t-il, vous avez pu remarquer que bien souvent vos propres sentiments changeaient en même temps que l’aspect du paysage.  La même chose se passe sur la scène.  En subissant les transformations de notre état physique nous nous découvrons constamment un nouvel état d’esprit, des conditions autres.  Nous voyons différemment les décors et ce qui nous entoure, même ce qui n’est qu’imaginaire.  Comme le voyageur, nous connaissons d’autres gens et nous partageons leur vie.

 

« C’est la ligne de ces actions physiques qui guide l’acteur de bout en bout dans la pièce.  Le sentier est si bien tracé qu’il ne peut s’égarer.  Cependant, ce n’est pas le sentier qui l’intéresse, ce sont les conditions intérieures et les événements profonds de cette vie qu’il a trouvée dans la pièce.  Ce qu’il aime, c’est la beauté, le pittoresque qui entoure son rôle et les sentiments qu’ils font naître en lui.

 

« Comme le voyageur, l’acteur peut parvenir à destination en employant des moyens très divers : il y a celui qui vit véritablement son rôle physiquement ; celui qui en reproduit seulement l’aspect extérieur ; celui qui se camoufle derrière des trucs savants comme s’il cherchait à vendre sa marchandise ; celui qui récite bêtement son rôle ; celui qui s’en sert pour se faire valoir aux yeux de ses admirateurs... C’est votre sens du vrai, qui, en accord avec la conviction que vous avez en vos actes, vous empêchera de vous égarer dans une mauvaise direction.

 

 

 

« La question qui se présente ensuite est la suivante : comment tracer ce chemin ?

 

 

 

« Il semblerait à première vue qu’il suffise d’utiliser nos vraies émotions ; mais les sentiments ne forment pas un matériel assez solide, c’est pourquoi nous avons recours aux actions physiques.

 

« Plus importante cependant que l’action elle-même est sa vérité, et la sincérité de l’acteur.  Car là où se trouvent vérité et conviction ne peuvent naître que de vrais sentiments.  Vous pouvez le vérifier vous-mêmes ; il suffit d’exécuter la moindre action en y croyant réellement pour qu’apparaisse instantanément un sentiment, d’une manière toute naturelle.

 

 « Si courts qu’ils soient, ces moments de simple vérité physique prennent une grande importance, aussi bien dans les passages détendus qu’aux instants les plus dramatiques de la pièce.  Il n’est pas besoin d’aller très loin pour trouver un exemple.  Qu’est-ce qui vous préoccupait, dans la seconde partie de votre exercice ? Vous avez couru à la cheminée et avez retiré du feu une liasse de billets.  Vous avez essayé de ranimer l’idiot, vous vous êtes précipité pour sauver l’enfant qui se noyait... Ces simples actes physiques sont le cadre à l’intérieur duquel s’est tout naturellement et logiquement construite la vie physique de votre personnage.

 

« Prenons un autre exemple : que fait Lady Macbeth, au point culminant de sa tragédie ? Elle cherche simplement à faire disparaître de ses mains une tache de sang. »

 

Gricha protesta. « Vous voulez nous faire croire qu’un grand écrivain comme Shakespeare a écrit Macbeth pour que son héroïne fasse le geste tout ordinaire de se laver les mains ? »

 

« Quelle déception, n’est-ce pas ! dit le Directeur avec ironie.  Penser qu’il a oublié la tragédie ! Comment a-t-il pu ignorer tout le jeu dramatique de l’acteur, son « pathétique », son « inspiration » ! Comment peut-on abandonner ce merveilleux trésor et se contenter de petits actes physiques, de petites vérités !...                                     

 

« Vous en comprendrez plus tard la nécessité.  Vous vous rendrez compte que dans la vie réelle, les grandes émotions ne se manifestent souvent que par un geste très ordinaire, tout simple et naturel.  Cela vous étonne ? De quoi se préoccupe l’ami ou la femme du malade qui va mourir ? De ne pas faire de bruit autour de lui, de suivre les prescriptions du médecin, de prendre sa température, de lui donner à boire.  Et toutes ces petites actions prennent de l’importance en présence de la mort.

 

« Vous devez comprendre la signification que revêt le moindre geste à l’intérieur des « circonstances données », en exprimant un sentiment.  C’est en voulant véritablement, physiquement essuyer le sang de ses mains que Lady Macbeth en est venue à exécuter ses projets ambitieux.  Ce n’est pas par hasard si, tout au long de son monologue, cette tache lui revient à la mémoire, liée dans son esprit au meurtre de Duncan.  Ce simple geste comporte un sens extraordinaire.  Il exprime à lui seul tout le drame intérieur, qui cherche ainsi une issue.

 

« Pourquoi cette relation entre les actes physiques élémentaires et la vie affective est-elle un élément si important de notre technique artistique ?

 

« Si vous dites à un acteur que son rôle est profondément tragique et plein de psychologie, il va commencer immédiatement à se lancer dans toutes sortes de contorsions, à se torturer l’esprit et à forcer les sentiments.  Mais donnez-lui un problème strictement physique à résoudre, dans des circonstances intéressantes et attachantes, et il l’accomplira sans s’inquiéter et sans se poser de questions inutiles.

 

« En abordant ainsi la vie affective, vous éviterez toute violence, et le résultat viendra tout naturellement de lui-même.

 

« Il y a aussi une autre raison pratique de procéder ainsi.  Pour parvenir aux grandes dimensions du tragique, l’acteur doit forcer sa nature créatrice à l’extrême.  Or comment pourra-t-il y accéder si sa nature ne répond pas à sa volonté ? Cet état d’intensité dramatique ne peut être amené qu’à la faveur d’une inspiration, et vous ne pouvez pas toujours facilement la déclencher.  Si vous essayez de le faire par des moyens artificiels, vous risquez de vous égarer et de tomber dans le théâtral, au lieu du vrai.  C’est la méthode facile !

 

« Pour éviter cette erreur, prenez appui sur un objet tangible, solide, sur une action physique.  Plus elle sera simple, plus il vous sera facile de la saisir, de la laisser vous diriger vers votre véritable objectif, loin de la tentation du jeu mécanique.

 

« Abordez le moment tragique du rôle les nerfs détendus, sans crispation ni violence, et surtout sans hâte.  Avancez progressivement, avec logique, en accomplissant correctement et avec conviction votre enchaînement d’actes physiques.  Lorsque vous aurez perfectionné ce moyen de parvenir aux sentiments, vous cesserez de redouter ces passages tragiques, car vous saurez les aborder avec confiance.

 

« La seule différence entre ma façon d’aborder le drame ou la comédie dépend uniquement de la nature des circonstances proposées qui règlent les gestes de votre personnage.  Par conséquent, si l’on vous demande « du tragique », ne pensez pas à éprouver des sentiments, pensez à ce que vous allez faire »

 

 

 

[C.Stanislavski, La formation de l’acteur,1926, traduction Elizabeth Janvier, Paris, Olivier Perrin, 1958, p.138-141.]

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